Médicaments contrefaits dans les pays en développement : les risques pour la santé

Médicaments contrefaits dans les pays en développement : les risques pour la santé
12 novembre 2025 0 Commentaires Fabienne Martel

Chaque année, des millions de personnes dans les pays en développement prennent des médicaments qui ne contiennent aucun ingrédient actif. Certains sont empoisonnés. D’autres sont trop faibles pour guérir. Et personne ne le sait avant qu’il ne soit trop tard.

Qu’est-ce qu’un médicament contrefait ?

La définition de l’OMS est claire : un médicament falsifié est un produit frauduleux qui se fait passer pour un médicament légitime. Il peut avoir une apparence identique, un emballage quasi parfait, et même un numéro de lot réel. Mais il ne contient pas ce qu’il prétend contenir. Dans 30 % des cas, il n’a aucun principe actif. Dans 45 %, la dose est trop faible ou trop élevée. Dans 25 %, il contient des substances toxiques comme du ciment, du brome ou du méthanol.

Les médicaments contrefaits ne sont pas des copies mal faites. Ils sont de plus en plus sophistiqués. Des réseaux criminels utilisent l’impression 3D pour reproduire les emballages avec 99 % de précision. Les blisters ressemblent à ceux des laboratoires pharmaceutiques. Les instructions sont traduites dans la langue locale. Les pharmacies en ligne affichent des logos de marques connues. Même les professionnels de santé ont du mal à les distinguer.

Un problème mondial, mais un coût humain local

Le marché mondial des médicaments contrefaits vaut 83 milliards de dollars par an. Mais ce n’est pas une statistique lointaine. C’est une réalité quotidienne dans des pays comme le Nigeria, le Kenya, le Bangladesh ou le Mozambique. L’OMS estime qu’au moins 1 médicament sur 10 dans les pays à revenu faible ou intermédiaire est de mauvaise qualité ou falsifié. Dans certaines régions d’Afrique subsaharienne, ce chiffre atteint 18,7 %. En Asie du Sud-Est, jusqu’à 50 % des traitements contre le paludisme sont contrefaits.

Le pire ? Ces médicaments tuent. Selon l’OMS, plus de 116 000 décès par an en Afrique subsaharienne sont liés à des antipaludéens falsifiés. L’OCDE estime que 72 000 à 169 000 enfants meurent chaque année de pneumonie parce que les antibiotiques qu’ils ont pris étaient vides ou contaminés. En 2012, à Lahore, au Pakistan, plus de 200 personnes sont mortes après avoir reçu des médicaments pour le cœur contenant une substance toxique en excès. Ce n’était pas une erreur. C’était de la contrefaçon délibérée.

Pourquoi les gens les achètent-ils ?

Les médicaments contrefaits ne survivraient pas s’ils n’étaient pas achetés. Et ils sont achetés parce qu’ils sont beaucoup moins chers. Un traitement légitime contre le paludisme peut coûter 3 à 5 fois plus cher qu’une version contrefaite. Pour une famille qui vit avec moins de 2 dollars par jour, le choix est simple : payer le prix fort et risquer de ne pas pouvoir manger, ou prendre le médicament bon marché et espérer.

Le problème, c’est que l’espérance est trompeuse. Une étude du Lancet en 2022 a montré que 87 % des antibiotiques contrefaits n’avaient pas assez d’ingrédient actif pour traiter une infection. Résultat ? La maladie ne passe pas. Elle devient plus résistante. Et cela crée des super-bactéries qui ne répondent plus à aucun traitement. C’est un cercle vicieux : les contrefaçons affaiblissent les systèmes de santé en rendant les maladies plus difficiles à soigner.

Enfant malade dans une clinique rurale, un médecin tenant une bouteille vide de médicament contrefait, lumière froide à travers la fenêtre.

Comment les contrefaçons circulent-elles ?

Les médicaments contrefaits ne viennent pas d’un seul endroit. La majorité (78 %) sont fabriqués en Chine. Mais ils passent par une chaîne complexe : 5 à 7 intermédiaires, souvent dans des pays aux contrôles faibles comme le Bangladesh, le Liban ou la Turquie. Ils traversent les frontières par des voies informelles, mélangés à des cargaisons légales. Ils entrent dans les pharmacies locales, les marchés, les cliniques privées, et même les hôpitaux publics.

Les réseaux criminels profitent du manque de surveillance. Dans certains pays, les autorités sanitaires n’ont pas les moyens de tester les médicaments. Les laboratoires sont rares, les équipements coûteux. Un test de spectroscopie, fiable à 95 %, coûte des milliers d’euros. Il est disponible dans seulement 15 % des centres de santé ruraux. La plupart des pharmaciens n’ont pas de formation pour les détecter. Ils se fient à l’emballage. Et l’emballage est presque toujours parfait.

Les solutions existent - mais elles sont peu utilisées

Il y a des outils pour lutter contre ce fléau. Le système mPedigree, par exemple, permet aux patients d’envoyer un SMS pour vérifier l’authenticité d’un médicament. En Ghana, il a réduit la consommation de médicaments contrefaits de 37 % dans les zones pilotes. Le système de blockchain de l’OMS, lancé en mars 2025, suit chaque boîte de médicament depuis l’usine jusqu’au patient. Il est déjà utilisé dans 27 pays.

Pfizer a empêché plus de 302 millions de doses contrefaites d’atteindre les patients depuis 2004. Mais ces solutions ne fonctionnent que si elles sont accessibles. Le problème ? Dans 60 % des régions rurales d’Afrique subsaharienne, il n’y a pas d’électricité stable. Dans 75 % des cliniques, les travailleurs de santé ne savent pas utiliser les applications. Les manuels d’instruction sont souvent en anglais, pas en swahili ou en haoussa. Et les systèmes de vérification ne sont pas intégrés aux chaînes d’approvisionnement locales.

Une solution simple ? Des kits de test bon marché. Un test chimique coûte entre 5 et 10 dollars et donne un résultat fiable à 70 %. Mais il faut former les pharmaciens. Et cela prend du temps, de l’argent, et une volonté politique.

Infirmière vérifiant un médicament avec une technologie blockchain projetée en l’air, un kit de test simple à côté, fond cybernétique.

Qui est responsable ?

Le système est cassé. Les pays riches exportent des médicaments bon marché vers les pays pauvres, mais ne vérifient pas leur qualité. Les entreprises pharmaceutiques protègent leurs marques, mais ne financent pas les contrôles dans les régions les plus vulnérables. Les gouvernements locaux manquent de ressources et de formation. Les réseaux criminels, eux, sont bien organisés, bien financés, et profitent de la faiblesse des lois. En 2024, seuls 45 pays sur 76 ayant signé la Convention de Medicrime l’ont ratifiée dans leur droit national. Les peines pour contrefaçon de médicaments sont souvent aussi légères que celles pour contrefaçon de sacs à main.

Le directeur général de l’OMS, Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, a dit : « Les médicaments de mauvaise qualité sont un symptôme de systèmes de santé faibles - et une cause de leur affaiblissement. » C’est exact. Chaque médicament contrefait utilisé est un coup porté à la confiance dans la médecine. Chaque décès évitable rend les gens plus méfiants. Et quand les gens ne croient plus aux traitements, ils ne vont plus chez le médecin. Et les maladies s’aggravent.

Que peut-on faire ?

Les solutions existent. Elles sont peu mises en œuvre. Voici ce qui marche :

  • Renforcer les autorités nationales de santé : Les pays comme le Ghana et le Rwanda ont créé des agences de contrôle des médicaments avec des budgets et des compétences. Résultat : moins de contrefaçons.
  • Utiliser des technologies simples : Des applications mobiles qui permettent de scanner un code-barres ou d’envoyer un SMS. Des kits de test à faible coût. Des lampes UV pour détecter les marques de sécurité.
  • Former les travailleurs de santé : 40 à 60 heures de formation suffisent pour que les pharmaciens et les infirmiers reconnaissent les signes de contrefaçon.
  • Intégrer la vérification dans la chaîne d’approvisionnement : Les médicaments doivent être traçables dès leur sortie d’usine. La blockchain peut le faire - mais seulement si elle est accessible aux petits fournisseurs.
  • Éduquer les patients : Des campagnes locales, en langues locales, expliquant comment vérifier un médicament. Des affiches dans les cliniques. Des radios communautaires.

Le plus urgent ? Ne pas attendre que quelqu’un meure pour agir. En 2025, l’Union européenne a annoncé un fonds de 250 millions d’euros pour renforcer la sécurité des médicaments dans 30 pays en développement. C’est un bon début. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut des milliards. Et il faut des actions rapides.

Un avenir possible

Si rien ne change, l’OCDE prévoit que le marché des médicaments contrefaits atteindra 120 milliards de dollars d’ici 2027. Et selon le World Bank, plus de 5,7 millions de décès pourraient être évités d’ici 2030 si les systèmes de vérification étaient déployés à grande échelle.

La technologie est là. Les connaissances sont là. Ce qui manque, c’est la volonté collective. Les médicaments contrefaits ne sont pas un problème de pauvreté. C’est un problème de justice. Chaque personne, partout dans le monde, a le droit de prendre un médicament qui fonctionne. Pas un médicament qui tue.

Comment savoir si un médicament est contrefait ?

Il n’y a pas toujours de signes visibles, mais certains indices peuvent alerter : l’emballage est abîmé, les couleurs sont différentes, les caractères sont flous, le prix est trop bas, ou le médicament n’a aucun effet. Les systèmes de vérification comme mPedigree permettent d’envoyer un SMS avec le code sur l’emballage pour confirmer son authenticité. Dans certains pays, des applications mobiles ou des sites web officiels permettent aussi de vérifier le numéro de lot.

Les médicaments génériques sont-ils des médicaments contrefaits ?

Non. Les médicaments génériques sont des versions légales et approuvées de médicaments de marque, après l’expiration du brevet. Ils contiennent le même principe actif, à la même dose, et sont soumis aux mêmes normes de qualité. La différence est seulement dans le nom, l’emballage, et le prix. Les génériques sont essentiels pour rendre les traitements accessibles. Ce sont les médicaments falsifiés - qui trompent sur leur origine et leur composition - qui sont dangereux.

Pourquoi les pays en développement sont-ils plus touchés ?

Parce que leurs systèmes de santé sont souvent sous-financés. Les laboratoires de contrôle sont rares, les inspections aléatoires peu fréquentes, et les lois mal appliquées. En même temps, la demande est forte : les populations ont besoin de médicaments, mais n’ont pas les moyens de payer les prix élevés des produits légitimes. Cela crée un vide que les trafiquants exploitent. La pauvreté n’est pas la cause directe, mais elle rend les populations plus vulnérables.

Les médicaments contrefaits peuvent-ils causer la résistance aux antibiotiques ?

Oui, et c’est l’un des dangers les plus graves. Si un antibiotique contient trop peu d’ingrédient actif, il ne tue pas toutes les bactéries. Les plus résistantes survivent et se multiplient. Avec le temps, les infections deviennent impossibles à traiter. C’est déjà le cas avec le paludisme et la tuberculose dans certaines régions. L’OMS considère la résistance aux antimicrobiens comme l’une des plus grandes menaces pour la santé mondiale - et les médicaments contrefaits en sont une cause majeure.

Que faire si on pense avoir pris un médicament contrefait ?

Arrêtez de le prendre immédiatement. Consultez un professionnel de santé pour évaluer les risques. Signalez le médicament aux autorités sanitaires locales ou à l’OMS via leur plateforme de signalement. Conservez l’emballage et le reçu. Si possible, prenez une photo. Ces informations aident à identifier les réseaux de contrefaçon et à protéger d’autres personnes. Ne jetez pas le médicament - il peut servir d’élément de preuve.