Santé mentale et non-adhésion aux médicaments : ce qui fonctionne vraiment

Santé mentale et non-adhésion aux médicaments : ce qui fonctionne vraiment
25 novembre 2025 1 Commentaires Fabienne Martel

Imaginez que vous prenez un médicament tous les jours pour calmer vos pensées, stabiliser vos émotions, ou simplement tenir le coup. Et pourtant, à un moment donné, vous arrêtez. Pas parce que vous vous sentez mieux, mais parce que c’est trop compliqué, trop cher, ou parce que vous ne croyez plus que ça sert à quelque chose. Ce n’est pas une faiblesse. Ce n’est pas de la négligence. C’est un phénomène courant, silencieux, et profondément humain : la non-adhésion aux médicaments en santé mentale.

En France comme aux États-Unis, entre 40 % et 60 % des personnes atteintes de troubles psychiatriques ne prennent pas leurs médicaments comme prescrit. Chez les personnes atteintes de schizophrénie, ce chiffre monte à environ 50 %. Et ce n’est pas qu’une question de santé individuelle. Cela entraîne des hospitalisations, des crises, des pertes d’emploi, et même des décès prématurés. Selon les données du CDC, la non-adhésion contribue à environ 125 000 décès par an aux États-Unis. En termes d’économies, une meilleure adhésion pourrait réduire les coûts de santé de 100 à 300 milliards de dollars par an.

Pourquoi les gens arrêtent-ils leurs médicaments ?

La réponse n’est pas simple. Ce n’est pas juste « ils oublient » ou « ils ne veulent pas ». Les raisons sont profondes, variées, et souvent liées à la maladie elle-même.

Beaucoup de patients n’ont pas conscience qu’ils sont malades. C’est ce qu’on appelle le manque d’insight. Si vous pensez que vos hallucinations sont réelles, ou que votre anxiété est juste une réaction normale à la vie, pourquoi prendriez-vous un médicament ?

Les effets secondaires jouent aussi un rôle majeur. Gain de poids, somnolence, tremblements, baisse de la libido… ces effets peuvent être plus difficiles à vivre que les symptômes de la maladie. Un patient m’a dit un jour : « Je préfère être anxieux et en forme, que calme et éteint. »

Le coût est un autre frein. Un antipsychotique générique peut coûter 10 euros par mois, mais si vous n’avez pas de couverture complète, ou si vous êtes sans emploi, chaque pilule devient un choix impossible. Chez les personnes sans logement, l’adhésion tombe à 26 % à 41 %.

Et puis, il y a la complexité. Prendre trois médicaments à des heures différentes, chaque jour, c’est un vrai défi pour n’importe qui. Pour quelqu’un qui lutte contre la dépression, la désorganisation, ou les troubles de la mémoire, c’est presque impossible. Une étude montre que 87 % des patients qui passent à une prise quotidienne restent fidèles à leur traitement. Seulement 52 % le font avec un régime à plusieurs prises par jour.

Ce qui marche : les interventions qui changent tout

Il existe des solutions. Pas des miracles, mais des approches concrètes, testées, et efficaces.

La plus puissante ? L’intervention des pharmaciens en collaboration avec les psychiatres. Ce n’est pas juste une consultation de plus. C’est un accompagnement personnalisé. Un pharmacien qui connaît vos médicaments, vos effets secondaires, vos peurs, et qui vous rappelle chaque semaine. Dans une étude publiée en 2025, les patients suivis par une équipe pharmacien-psychiatre ont vu leur adhésion augmenter de 1,67 point sur une échelle standard - presque 150 % de plus que ceux qui recevaient les soins habituels.

Le système de Kaiser Permanente en Californie a mis en place un programme où les pharmaciens suivent directement les patients atteints de schizophrénie. Résultat ? Une augmentation de 32,7 % de l’adhésion en 90 jours, et 18,3 % moins d’hospitalisations. Ce n’est pas un hasard. C’est du travail structuré.

La simplification du traitement est un levier sous-estimé. Beaucoup de médecins ne discutent jamais de réduire la fréquence des prises. Pourtant, passer de trois prises par jour à une seule, quand c’est possible, multiplie par deux les chances d’adhésion. Et ça ne demande pas de nouveaux médicaments - juste une réflexion clinique.

Les outils numériques ont leur place, mais ils ne suffisent pas. Une application qui vous rappelle de prendre votre pilule augmente l’adhésion de seulement 1,8 %. C’est mieux que rien, mais ce n’est pas une solution. Ce qui fonctionne, c’est quand le rappel est accompagné d’un échange humain : un message qui dit « Je sais que c’est dur aujourd’hui. Tu veux qu’on en parle ? »

Pharmacien et psychiatre accompagnent un patient avec un organisateur de comprimés quotidien dans une clinique lumineuse.

Le rôle des systèmes de santé

Le problème ne se situe pas seulement dans la tête du patient. Il est aussi dans les systèmes de soins.

En 2024, seulement 58,7 % des patients atteints de troubles psychiatriques aux États-Unis étaient considérés comme adhérents selon les normes de qualité (HEDIS). Pour le diabète, c’est 72,3 %. La différence ? Le diabète est mesuré, surveillé, et récompensé. La santé mentale, elle, est souvent ignorée.

Mais ça change. Le CMS (Centers for Medicare & Medicaid Services) a intégré l’adhésion aux médicaments dans 7 des 13 indicateurs de qualité qui déterminent les paiements aux assurances. Une mauvaise adhésion peut faire perdre jusqu’à 8,2 % des revenus d’un plan de santé. Les assureurs privés comme UnitedHealthcare incluent désormais des objectifs d’adhésion dans les contrats avec les médecins - 80 % d’adhésion pour les antipsychotiques, sinon, les rémunérations baissent.

Les hôpitaux et centres de santé mentale qui réussissent ont tous une chose en commun : ils mesurent l’adhésion. Ils la suivent comme une tension artérielle. Ils la lient aux évaluations des professionnels. Et 78 % d’entre eux l’ont intégrée à des modèles de paiement basés sur la performance.

Les nouvelles technologies : promesses et limites

La recherche avance. Une étude de 2025 dans Nature Mental Health a montré qu’il est possible de prédire avec 82,4 % de précision quand un patient va arrêter son traitement - en analysant simplement ses mouvements sur son téléphone : combien il sort, quand il se lève, combien il parle à quelqu’un. Pas de capteur médical. Pas de pilule connectée. Juste les données quotidiennes qu’il partage déjà.

Les injections longue durée (LAI) sont aussi une avancée majeure. Contrairement aux comprimés, elles sont administrées une fois par mois ou par deux mois. Le taux d’adhésion monte à 87 %, contre 56 % pour les comprimés. Et pourtant, elles sont encore sous-utilisées. Beaucoup de médecins pensent que les patients refusent. Mais en réalité, c’est souvent parce qu’on ne leur en parle pas.

Les systèmes de dossiers médicaux électroniques comme Epic prévoient d’intégrer, dès 2026, des alertes automatiques pour les patients à risque. Quand un patient manque trois rendez-vous, qu’il ne récupère pas sa ordonnance, ou qu’il ne prend plus son médicament depuis 15 jours - le système envoie un signal au soignant. Ce n’est pas de la surveillance. C’est de la prévention.

L'ombre d'un patient se transforme en pilules qui deviennent des grues en papier, avec un horloge numérique affichant une amélioration de l'adhésion.

Que peut faire un patient ou un proche ?

Si vous ou quelqu’un que vous aimez luttez contre la non-adhésion, voici ce qui peut vraiment aider :

  • Parlez à votre médecin ou pharmacien de la possibilité de simplifier le traitement. Demandez : « Est-ce qu’on peut passer à une prise par jour ? »
  • Utilisez un étui à pilules avec alarme. Pas une application, un étui. Physique. Fiable. Moins de dépendance à la technologie.
  • Demandez à un proche de vérifier que vous avez pris votre médicament. Pas pour contrôler, mais pour accompagner.
  • Si les effets secondaires sont trop forts, ne les ignorez pas. Dites-le. Il existe souvent des alternatives.
  • Recherchez des programmes de soutien. Certains centres proposent des accompagnements gratuits par des pharmaciens spécialisés en santé mentale.

Et surtout : ne vous sentez pas coupable. La non-adhésion n’est pas un échec personnel. C’est un problème de système, de santé publique, et de compassion.

Le futur : vers une prise en charge plus humaine

Le futur de la santé mentale ne passe pas par des robots ou des applications intelligentes. Il passe par des soins intégrés, où le pharmacien, le psychologue, le médecin, et le patient travaillent ensemble. Où le coût n’est pas un obstacle. Où la complexité est réduite. Où la maladie est reconnue, pas jugée.

En 2027, le CMS prévoit d’augmenter la pondération de l’adhésion aux médicaments dans ses indicateurs de qualité de 10 % à 15 %. C’est un signal fort : la santé mentale ne peut plus être traitée comme une priorité secondaire.

La non-adhésion n’est pas une question de volonté. C’est une question de conception. Et nous pouvons la réinventer.

Pourquoi les personnes atteintes de troubles mentaux arrêtent-elles souvent leurs médicaments ?

Les raisons sont multiples : manque de conscience de la maladie (« insight »), effets secondaires désagréables, coût élevé des médicaments, régimes de prise trop complexes (plusieurs prises par jour), ou encore la stigmatisation. Certains patients pensent qu’ils n’ont plus besoin du traitement après une amélioration, ou qu’il ne fait que les « endormir ». Ce n’est pas de la négligence - c’est une réponse rationnelle à des conditions souvent difficiles.

Quel est le taux d’adhésion moyen pour les antipsychotiques ?

En moyenne, environ 50 % des patients atteints de schizophrénie prennent leurs antipsychotiques comme prescrit. Pour être considéré comme adhérent, il faut atteindre au moins 80 % de prise correcte sur une période donnée (mesuré par le PDC - Proportion of Days Covered). La majorité des patients se situent bien en dessous de ce seuil, ce qui explique les taux élevés de rechute et d’hospitalisation.

Les injections longue durée sont-elles plus efficaces que les comprimés ?

Oui. Les injections longue durée (LAI) ont un taux d’adhésion de 87 %, contre seulement 56 % pour les comprimés oraux, selon une étude publiée dans JAMA Psychiatry en 2023. Cela s’explique par la réduction de la fréquence de prise : une injection tous les 2 à 4 semaines est beaucoup plus facile à suivre que des comprimés quotidiens. Elles sont sous-utilisées, souvent parce que les professionnels n’en parlent pas ou parce que les patients craignent les piqûres.

Les pharmaciens peuvent-ils vraiment aider à améliorer l’adhésion ?

Oui, et de manière significative. Les interventions menées par des pharmaciens formés en santé mentale, en collaboration avec des psychiatres, augmentent l’adhésion de 40 % en moyenne. Ils expliquent les médicaments, surveillent les effets secondaires, simplifient les schémas posologiques, et proposent des solutions concrètes. Une étude de 2025 montre que ce modèle améliore l’adhésion 142 % plus que les soins traditionnels.

Qu’est-ce que la « simplification posologique » et pourquoi ça marche ?

La simplification posologique, c’est réduire le nombre de prises par jour. Passer de trois prises à une seule par jour augmente les chances d’adhésion de près de 70 %. Cela ne change pas l’efficacité du traitement - juste sa praticité. Pour une personne dépressive ou désorganisée, un seul rappel quotidien est beaucoup plus gérable. Pourtant, 73 % des patients affirment que leur médecin ne leur a jamais proposé cette option.

Les applications mobiles pour rappeler de prendre ses médicaments sont-elles efficaces ?

Elles ont un effet modeste : elles augmentent l’adhésion de seulement 1,8 % à 2 % pour les traitements chroniques. Ce n’est pas négligeable, mais ce n’est pas suffisant. Ce qui fonctionne, c’est quand le rappel est combiné à un soutien humain - un message personnalisé, un appel, une discussion. La technologie aide, mais elle ne remplace pas la relation.

Comment savoir si je suis à risque de non-adhésion ?

Vous êtes à risque si : vous avez déjà manqué des prises, vous avez des effets secondaires gênants, vous ne comprenez pas pourquoi vous prenez ce médicament, vous avez des difficultés financières, vous vivez sans logement stable, ou vous avez plusieurs médicaments à prendre à des heures différentes. Si vous répondez oui à l’une de ces questions, parlez-en à votre pharmacien ou à votre médecin - il y a des solutions.

1 Commentaires

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    marc f

    novembre 25, 2025 AT 16:02

    Je vois trop de gens arrêter leurs traitements parce qu’ils n’ont pas les moyens ou qu’ils sont épuisés. C’est pas de la faiblesse, c’est du désespoir silencieux. Le système doit faire mieux que de leur jeter une pilule et leur dire d’aller mieux.

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