Hyponatrémie et hypernatrémie : les troubles du sodium dans la maladie rénale

Hyponatrémie et hypernatrémie : les troubles du sodium dans la maladie rénale
1 décembre 2025 6 Commentaires Fabienne Martel

Quand les reins ne régulent plus le sodium

Le sodium est un électrolyte essentiel. Il contrôle la pression sanguine, l’équilibre des fluides et le bon fonctionnement des nerfs et des muscles. Mais quand les reins ne fonctionnent plus comme il faut, ce petit sel devient un danger. Dans la maladie rénale chronique (MRC), l’hyponatrémie (sodium <135 mmol/L) et l’hypernatrémie (sodium >145 mmol/L) sont bien plus fréquentes qu’on ne le pense. Environ 20 à 25 % des patients en stade 3 à 5 de la MRC en souffrent. Ce n’est pas une simple variation de laboratoire. C’est un signal d’alarme qui augmente le risque de chutes, de démence, de fractures et même de décès prématuré.

Pourquoi les reins malades ne gèrent plus le sodium

Les reins sains filtrent environ 180 litres de sang par jour. Ils réabsorbent la plupart du sodium et de l’eau, puis ajustent finement la quantité excrétée dans les urines. Mais quand le débit de filtration glomérulaire (DFG) chute sous 60 mL/min/1,73 m², ce système se dérègle. En stade 1 ou 2 de la MRC, les reins arrivent encore à éliminer le sodium, mais ils doivent produire plus d’urine pour le faire. En stade 4 ou 5 (DFG <30 mL/min/1,73 m²), ils perdent presque toute capacité à concentrer ou diluer l’urine. C’est ce qu’on appelle l’isosthénurie : l’urine a la même concentration que le sang. Résultat ? Le corps ne sait plus éliminer l’eau en excès ni conserver l’eau quand il en a besoin.

Le système rénine-angiotensine-aldostérone (RAAS), qui régule normalement la pression et le sodium, devient déséquilibré. L’hormone vasopressine (ADH), qui fait retenir l’eau, est souvent sécrétée en excès, même quand elle n’est pas nécessaire. Et les médicaments comme les diurétiques thiazidiques - couramment prescrits pour l’hypertension - deviennent inefficaces ou même dangereux quand le DFG tombe en dessous de 30 mL/min/1,73 m². L’Organisation des États-Unis a même émis un avertissement officiel contre leur usage chez les patients en insuffisance rénale avancée.

Hyponatrémie : quand le sodium est trop bas

L’hyponatrémie est le trouble le plus courant chez les patients en MRC avancée. Elle touche 60 à 65 % des cas. Le plus souvent, elle est euvolémique : il n’y a pas d’œdème visible, mais le corps retient trop d’eau par rapport au sodium. Pourquoi ? Parce que les reins ne peuvent plus éliminer l’eau en excès. Un patient boit 2 litres d’eau par jour - ce qui est normal pour une personne en bonne santé - mais ses reins ne peuvent plus produire d’urine diluée. L’eau s’accumule, le sodium se dilue, et le taux chute.

Un piège courant ? Les régimes trop restrictifs. Beaucoup de patients en MRC reçoivent des conseils pour limiter le sodium, le potassium et les protéines. Mais en réduisant trop les solutés alimentaires, on diminue la capacité des reins à éliminer l’eau. Une étude japonaise en 2023 a montré que cette restriction excessive augmente le risque d’hyponatrémie de 22 % chez les patients en stade 4-5. Le corps a besoin d’un minimum de solutés pour produire de l’urine diluée. Sans eux, même une petite quantité d’eau devient dangereuse.

Les conséquences sont graves. Les patients avec une hyponatrémie chronique ont 1,8 fois plus de risques de mourir prématurément. Ils sont plus sujets aux chutes (risque multiplié par 1,8), aux fractures (HR 1,67), à la perte de mémoire et à la dégradation de la marche. Un patient âgé avec un sodium à 128 mmol/L ne se sent pas forcément malade. Il se contente de dire qu’il est « fatigué » ou « un peu étourdi ». Ce n’est pas normal. C’est un signe d’alerte.

Patch sur la peau affichant un graphique de sodium en temps réel au-dessus d&#039;un lit d&#039;hôpital.

Hypernatrémie : quand le sodium monte trop haut

L’hypernatrémie est moins fréquente, mais tout aussi dangereuse. Elle survient quand le corps perd trop d’eau par rapport au sodium. Chez les patients en MRC, cela arrive souvent quand ils ne boivent pas assez - par peur de l’œdème, ou parce qu’ils ont une faible soif (un phénomène courant chez les personnes âgées). Leur rein ne peut plus concentrer l’urine pour conserver l’eau. Donc, même une légère perte d’eau (par transpiration, fièvre ou médicaments) fait monter le sodium.

Les symptômes sont subtils au début : soif intense, confusion, agitation, faiblesse musculaire. En cas de déshydratation sévère, cela peut mener à des convulsions, un coma ou une mort rapide. La correction doit être lente. Réduire le sodium de plus de 10 mmol/L en 24 heures risque de provoquer un œdème cérébral. Les reins ne peuvent pas réagir rapidement. Il faut donc remplacer l’eau progressivement, avec des solutions hypotoniques, sous surveillance médicale.

Comment traiter ces troubles - et les éviter

Il n’y a pas de traitement universel. Tout dépend du volume corporel, du stade de la MRC et des médicaments pris.

  • Hyponatrémie euvolémique : restriction hydrique à 800-1 000 mL/jour en stade 4-5 (contre 1 000-1 500 mL en stade 1-2). Éviter les diurétiques thiazidiques. Les vaptans (bloqueurs de la vasopressine) sont contre-indiqués : ils ne fonctionnent pas quand les reins sont trop endommagés.
  • Hyponatrémie hypovolémique : souvent due à une perte de sel (diurétiques, syndrome de perte de sel). Correction par chlorure de sodium oral (4 à 8 g/jour).
  • Hypernatrémie : réhydratation lente avec de l’eau ou du glucose à 5 %. Ne jamais corriger plus de 10 mmol/L en 24 heures.

La clé ? Ne pas appliquer les protocoles standard aux patients en MRC. Une étude rétrospective a montré que 12 à 15 % des cas de syndrome de démyélinisation osmotique - une lésion cérébrale irréversible - sont causés par une correction trop rapide du sodium chez des patients rénaux. Les médecins doivent ajuster leurs règles.

Bataille symbolique dans les reins entre excès d&#039;eau et déshydratation, avec un guerrier tenant un sablier.

Le rôle du diététicien et de l’équipe soignante

Un patient en MRC avancée doit souvent suivre trois régimes en même temps : faible en sodium, faible en potassium, faible en protéines. C’est une charge mentale énorme. Une étude française (CKD-REIN, 2020) montre qu’il faut 3 à 6 séances avec un diététicien spécialisé pour que le patient comprenne vraiment ce qu’il doit faire. Beaucoup pensent que « sans sel » signifie « zéro sel ». Ce n’est pas vrai. Il faut un équilibre.

Les patients âgés - qui représentent 70 à 75 % des cas de MRC avancée - sont les plus vulnérables. Ils ont une soif réduite, une mémoire fragile, et prennent souvent 5 à 10 médicaments différents. Un seul changement de traitement peut déséquilibrer tout le système. C’est pourquoi une équipe coordonnée (néphrologue, médecin traitant, diététicien, pharmacien) réduit les hospitalisations de 35 %, selon une étude publiée dans NEJM Evidence en 2022.

Les nouvelles avancées

En mars 2023, la FDA a approuvé un patch de surveillance continue du sodium interstitiel. Il mesure le sodium dans la peau, avec 85 % de précision par rapport au sang. Il ne remplace pas les analyses de laboratoire, mais il permet de détecter les tendances avant qu’un déséquilibre ne devienne critique. Les patients en MRC avancée pourront bientôt voir leur sodium évoluer en temps réel sur leur téléphone.

La prochaine révision des lignes directrices KDIGO en 2024 devrait inclure des recommandations personnalisées : pas de « volume cible » unique, mais un objectif adapté à la fonction rénale résiduelle. Des recherches commencent aussi à explorer le lien entre l’intestin et les reins dans la régulation du sodium. Peut-être que dans le futur, on pourra traiter l’hyponatrémie en modifiant la flore intestinale, et non seulement en restreignant l’eau.

Que faire si vous ou un proche êtes en MRC ?

  • Ne réduisez pas le sodium à zéro. Un apport trop faible peut causer plus de mal que de bien.
  • Boivez selon votre soif, mais ne dépassez pas les limites fixées par votre néphrologue. Si vous ne savez pas combien, demandez-le.
  • Signalez tout changement : fatigue inhabituelle, confusion, chute, perte d’appétit. Ce n’est pas « juste de vieillir ».
  • Évitez les diurétiques en vente libre. Les thiazidiques sont dangereux en MRC avancée.
  • Exigez une consultation avec un diététicien spécialisé en néphrologie. Ce n’est pas un luxe - c’est une nécessité.

Le sodium dans la maladie rénale n’est pas un problème de laboratoire. C’est un problème de survie. Ce n’est pas une question de « bien manger » ou de « boire assez ». C’est une question de compréhension fine, de surveillance continue et d’équilibre délicat. Les reins ne sont plus là pour sauver la situation. C’est à vous - et à votre équipe soignante - de le faire.

Quelle est la différence entre hyponatrémie et hypernatrémie dans la maladie rénale ?

L’hyponatrémie signifie que le taux de sodium dans le sang est trop bas (moins de 135 mmol/L), souvent parce que les reins ne peuvent pas éliminer l’eau en excès. L’hypernatrémie, elle, signifie que le sodium est trop élevé (plus de 145 mmol/L), généralement parce que le corps a perdu trop d’eau et que les reins ne peuvent plus la conserver. Dans les deux cas, c’est la perte de capacité rénale à réguler l’eau et le sel qui est en cause.

Pourquoi les régimes sans sel sont-ils dangereux pour les patients en insuffisance rénale ?

Un apport trop faible en solutés (sodium, potassium, protéines) réduit la capacité des reins à produire de l’urine diluée. Or, pour éliminer l’eau en excès, les reins ont besoin d’un minimum de solutés dans l’urine. Sans cela, même une petite quantité d’eau peut provoquer une hyponatrémie. Les patients qui suivent un régime « sans sel » extrême augmentent leur risque d’hyponatrémie de 22 %.

Les diurétiques thiazidiques sont-ils sûrs en cas d’insuffisance rénale ?

Non. Les diurétiques thiazidiques perdent leur efficacité quand le débit de filtration glomérulaire tombe en dessous de 30 mL/min/1,73 m². En plus, ils augmentent fortement le risque d’hyponatrémie. L’Agence américaine des médicaments (FDA) a émis un avertissement formel contre leur usage chez les patients en MRC avancée. Les diurétiques de l’anse (comme la furosémide) sont préférables dans ce cas.

Pourquoi ne pas corriger rapidement l’hyponatrémie chez les patients rénaux ?

Corriger trop vite le sodium peut provoquer un syndrome de démyélinisation osmotique, une lésion cérébrale grave et souvent irréversible. Les reins des patients en MRC ne peuvent pas ajuster rapidement l’équilibre osmotique. La correction doit être lente : pas plus de 4 à 6 mmol/L en 24 heures, et jamais plus de 8 mmol/L en une journée. Ce sont des règles strictes, mais vitales.

Quels sont les signes que je dois surveiller chez un proche en MRC ?

Fatigue inhabituelle, confusion, difficultés à marcher, chutes répétées, perte d’appétit, soif intense ou, au contraire, refus de boire. Ces signes ne sont pas « normaux » avec l’âge. Ils peuvent indiquer un trouble du sodium. Une simple analyse de sang peut le confirmer. Ne les ignorez pas.

6 Commentaires

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    lou viv

    décembre 3, 2025 AT 15:50

    Encore un article qui fait peur sans proposer de solution… genre, on sait que c’est grave, mais alors qu’est-ce qu’on fait ?

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    Sylvain C

    décembre 3, 2025 AT 20:28

    Je suis médecin en néphrologie depuis 25 ans, et je peux vous dire que les gars du service, on rigole plus quand on voit un sodium à 128 chez un vieux avec une MRC 5. C’est pas une anomalie labo, c’est une bombe à retardement. Et non, la bière light, ça n’aide pas.

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    Kate Orson

    décembre 4, 2025 AT 17:52

    Et bien sûr, les big pharma veulent vous faire croire que c’est « naturel »… mais qui contrôle les normes de laboratoire ? Qui a décidé que 135-145 c’était « normal » ? Moi, je dis : c’est les États-Unis qui ont imposé ces valeurs pour vendre plus de diurétiques. 🇺🇸💊

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    James Ebert

    décembre 5, 2025 AT 14:36

    Le sodium dans la MRC, c’est un vrai casse-tête physiologique. Le système RAAS est en mode survie, la vasopressine est en surproduction, et les tubules distaux deviennent insensibles aux signaux normaux. Ce n’est pas une question de « manger moins salé » - c’est une dysfonction neuro-hormonale systémique. Et oui, ça fait peur, mais c’est aussi une piste thérapeutique énorme pour les prochaines décennies.

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    Benjamin Poulin

    décembre 7, 2025 AT 09:56

    Je trouve que ce sujet est sous-estimé dans les formations médicales. On parle beaucoup de la créatinine, du DFG, mais on passe à côté du sodium comme s’il était un simple chiffre. Pourtant, c’est un marqueur de survie. Et si on le surveillait comme on surveille la glycémie ?

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    Andre Horvath

    décembre 8, 2025 AT 16:55

    En pratique, chez mes patients en dialyse, je leur demande de peser tous les matins et de noter leur consommation d’eau. Si le poids augmente de plus de 1,5 kg en 48h sans raison, je vérifie le sodium. Simple, efficace, pas besoin d’analyse complexe. Le sodium bas, c’est souvent un signe de surcharge hydrique masquée.

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