Interactions entre compléments alimentaires et médicaments : ce qu'il faut savoir pour éviter les risques

Interactions entre compléments alimentaires et médicaments : ce qu'il faut savoir pour éviter les risques
9 décembre 2025 7 Commentaires Fabienne Martel

Vous prenez un complément alimentaire, et vous ne dites rien à votre médecin. Vous pensez que c’est sans risque, parce que c’est « naturel ». Mais ce que vous ne savez pas, c’est que votre supplément de St-John’s wort peut réduire de 57 % la concentration de votre traitement contre le rejet de greffe, ou que votre gélule de ginkgo biloba peut faire exploser votre taux de saignement si vous prenez de la warfarine. Ces interactions ne sont pas des hypothèses : elles tuent, hospitalisent, et sont presque toujours évitables.

Comment un complément peut changer l’effet d’un médicament

Les compléments alimentaires ne sont pas des bonbons. Ce sont des substances actives - des plantes, des vitamines, des minéraux - qui interagissent avec votre corps de la même manière que les médicaments. Il existe deux façons principales dont ils peuvent causer des problèmes.

La première, c’est la pharmacocinétique : le complément change la façon dont votre corps absorbe, métabolise ou élimine le médicament. Par exemple, le St-John’s wort active une enzyme du foie (CYP3A4) qui détruit plus vite certains médicaments. Résultat : la cyclosporine, l’indinavir, ou même les pilules contraceptives deviennent inefficaces. Un patient sur cinq qui prend ce complément en même temps qu’un traitement antirétroviral voit sa concentration sanguine chuter à des niveaux dangereusement bas.

La seconde, c’est la pharmacodynamique : le complément amplifie ou annule l’effet du médicament sur votre corps. La vitamine K dans les suppléments de chou vert ou de thé vert contredit directement l’action de la warfarine, un anticoagulant. Votre INR - qui mesure la fluidité de votre sang - peut tomber de 2,5 à 1,5 en quelques jours, augmentant le risque de caillot. À l’inverse, le ginkgo biloba rend le sang plus fluide lui aussi. Quand on le combine à la warfarine, les cas de saignements internes ont fait monter l’INR jusqu’à 6,5 - un niveau qui peut provoquer une hémorragie cérébrale.

Les 5 compléments les plus dangereux avec les médicaments

Sur les milliers de compléments disponibles, certains sont des bombes à retardement. Voici les cinq qui posent le plus de risques, avec les médicaments qu’ils touchent :

  • St-John’s wort : réduit l’efficacité de la warfarine, des antidépresseurs (SSRI), des contraceptifs, des médicaments contre le VIH, et des traitements contre l’épilepsie. Une étude a montré qu’il fait chuter les niveaux de carbamazépine de 57 %, provoquant des crises chez des patients épileptiques.
  • Ginkgo biloba : augmente le risque de saignement avec la warfarine, l’aspirine, ou les anti-inflammatoires. Des cas de saignement cérébral ont été rapportés après seulement 3 semaines d’association.
  • Calcium : bloque l’absorption de la lévothyroxine (traitement de la thyroïde). Si vous prenez les deux en même temps, votre taux d’hormone peut chuter de 40 %, ce qui entraîne fatigue, prise de poids, et dépression.
  • Magnésium (dans les anti-acides) : réduit l’absorption des antibiotiques comme la ciprofloxacine jusqu’à 90 %. Votre infection peut ne jamais guérir.
  • Vitamine E : en dose élevée, elle agit comme un anticoagulant naturel. Associée à la warfarine ou à l’aspirine, elle multiplie le risque de saignement.

Et ce n’est pas tout. Le curcuma peut interférer avec les chimiothérapies. Le ginseng peut faire chuter la glycémie chez les diabétiques sous insuline. Même le thé vert, souvent considéré comme sain, peut réduire l’efficacité de certains médicaments contre le cancer.

Un pharmacien observe deux vials en conflit : ginkgo et warfarine, provoquant un saignement interne.

Le paradoxe du « naturel »

Beaucoup pensent que si c’est naturel, c’est sûr. Mais la nature ne connaît pas les doses. Une feuille de St-John’s wort contient une quantité variable de hyperforine - le composé actif. Un supplément peut en contenir 10 fois plus qu’un autre. Et les fabricants ne sont pas obligés de le dire.

En 2019, une étude du JAMA Internal Medicine a analysé 180 compléments vendus en ligne. 20 % contenaient des ingrédients non déclarés : des médicaments prescrits, des stéroïdes, ou même des produits interdits. Un supplément vendu comme « brûle-graisses » contenait en réalité de la sibutramine, un antidépresseur retiré du marché parce qu’il provoquait des crises cardiaques.

Et pourtant, 73 % des personnes qui prennent des compléments pensent qu’ils sont « très sûrs » ou « assez sûrs ». Ce n’est pas une erreur de jugement - c’est un échec du système. La loi américaine DSHEA de 1994 permet aux compléments d’être vendus sans preuve d’efficacité ni de sécurité. Le fabricant n’a pas à tester les interactions. L’Agence fédérale ne peut intervenir qu’après qu’un patient est tombé à l’hôpital.

La vérité que personne ne vous dit

Vous avez peut-être déjà vu un médecin cette année. Il vous a demandé si vous preniez des médicaments. Mais vous avez oublié de mentionner votre gélule de ginkgo ou votre bouteille de vitamine D. Vous ne pensez pas que ça compte. Et pourtant, 68 % des patients ne parlent jamais de leurs compléments à leur médecin - selon une analyse de 1 247 discussions sur Reddit.

Les médecins ne posent pas la bonne question. Ils disent : « Prenez-vous des herbes ou des suppléments ? » Ce mot, « herbes », évoque des infusions douces. Mais personne ne pense à la capsule de milk thistle pour « nettoyer le foie » ou au red yeast rice vendu comme « alternative naturelle au statine » - alors qu’il contient de la lovastatine, un médicament prescrit. Des patients ont développé une rhabdomyolyse - une dégradation musculaire mortelle - après avoir combiné ce complément avec un traitement pour les triglycérides.

Les pharmaciens sont mieux formés. Mais une étude en 2020 a montré que seulement 32 % d’entre eux identifiaient correctement les interactions majeures. Ce chiffre monte à 87 % après une formation de 4 heures. Cela veut dire que la plupart des professionnels ne sont pas préparés.

Des patients dans une salle d’attente portent des compléments qui perturbent leurs traitements médicaux.

Que faire pour se protéger ?

Vous n’avez pas besoin d’arrêter vos compléments. Mais vous devez les gérer comme des médicaments.

  1. Parlez-en à votre médecin - pas seulement pendant une consultation, mais à chaque rendez-vous. Dites : « Voici tout ce que je prends : les pilules, les gélules, les poudres, les teintures. » Montrez-lui les bouteilles.
  2. Écrivez tout : nom du produit, dose, fréquence, raison pour laquelle vous le prenez. Un simple morceau de papier peut sauver une vie.
  3. Évitez les suppléments à base d’herbes si vous prenez des médicaments chroniques (anticoagulants, immuno-suppresseurs, antihypertenseurs, antidépresseurs). Le risque est trop élevé, et les données sont trop faibles.
  4. Ne mélangez pas les suppléments avec vos médicaments. Prenez les vitamines le matin, les médicaments le soir. Séparez-les de 2 à 4 heures.
  5. Utilisez des outils fiables : le site NIH LiverTox ou la base de données Natural Medicines Database (payante, mais consultable dans les hôpitaux). Si votre pharmacien ne connaît pas, demandez-lui de vérifier.
  6. Signalez les effets secondaires à la FDA via MedWatch. Si vous avez eu un saignement, une fatigue extrême, ou une perte d’efficacité de votre traitement après avoir commencé un complément, c’est un signal d’alerte. Votre signalement peut aider d’autres personnes.

Le futur : des changements nécessaires

En 2023, le Congrès américain a proposé une loi pour obliger les fabricants à afficher des avertissements sur les interactions connues. Le NCCIH investit 15,7 millions de dollars pour étudier les interactions chez les personnes âgées - les plus vulnérables, car elles prennent en moyenne 4 à 5 médicaments par jour.

Le problème ne va pas s’arrêter. Le marché des compléments va atteindre 82 milliards de dollars en 2028. Les gens veulent contrôler leur santé. Mais ils ne veulent pas entendre que ce qu’ils prennent pour être en forme peut les rendre malades.

La solution n’est pas d’interdire. C’est de rendre l’information transparente. De former les médecins. De responsabiliser les fabricants. Et de vous obliger - oui, vous - à parler. Parce que votre vie dépend de ce que vous dites - ou ne dites pas - à votre médecin.

Les compléments alimentaires sont-ils toujours dangereux avec les médicaments ?

Non, tous les compléments ne sont pas dangereux. Les vitamines et minéraux comme la vitamine C ou le magnésium en doses normales posent rarement problème. Mais les plantes actives - comme le St-John’s wort, le ginkgo, ou le curcuma - ont un fort potentiel d’interaction. Le risque dépend du médicament, de la dose, et de la durée d’utilisation. Si vous prenez un traitement chronique, il est prudent de considérer chaque supplément comme un médicament potentiellement actif.

Puis-je prendre de la vitamine D avec mon traitement de la thyroïde ?

Oui, la vitamine D ne bloque pas l’absorption de la lévothyroxine. Mais le calcium, souvent présent dans les complexes multivitaminés, oui. Si votre supplément de vitamine D contient du calcium (ce qui est fréquent), prenez-le à distance de votre comprimé de thyroïde - au moins 4 heures plus tard. Sinon, votre taux d’hormone peut chuter, et vous risquez une hypothyroïdie non traitée.

Pourquoi les fabricants ne mettent-ils pas d’avertissements sur les étiquettes ?

Parce que la loi ne l’exige pas. Aux États-Unis, les compléments sont classés comme des aliments, pas comme des médicaments. Les fabricants n’ont pas besoin de prouver leur sécurité avant de les vendre. Ils ne sont pas obligés de tester les interactions. Seuls 12 % des grands fabricants le font volontairement. C’est pourquoi 78 % des étiquettes ne mentionnent aucune interaction, même pour des produits comme le St-John’s wort, dont les risques sont bien connus depuis 20 ans.

Mon médecin ne connaît rien aux compléments. À qui dois-je demander ?

Demandez à votre pharmacien. Ce sont les professionnels les plus formés sur les interactions médicamenteuses. Si votre pharmacie ne connaît pas, demandez-lui de consulter la base de données Natural Medicines Database ou de contacter un centre de toxicologie. Vous pouvez aussi consulter le site NIH LiverTox (gratuit, en anglais). Si vous êtes en France, votre pharmacien peut consulter la base de données Vidal ou le site de l’ANSM.

Quels sont les signes qu’un complément interfère avec mon traitement ?

Des signes inattendus : votre tension monte alors que vous ne changez rien, votre dépression revient après avoir commencé un supplément, vous avez des saignements inhabituels (gencives, nez, urine), ou votre traitement ne fonctionne plus (ex. : contraception inefficace, infection qui ne passe pas). Si vous remarquez un changement dans les 10 jours suivant le début d’un nouveau complément, arrêtez-le et consultez immédiatement votre médecin.

7 Commentaires

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    Fleur Lambermon

    décembre 9, 2025 AT 14:05

    Je viens de finir ce post… et je suis choquée ! J’ai pris du St-John’s wort pendant 6 mois sans dire à mon médecin… et je prenais aussi de la warfarine… MERCI pour ce rappel brutal mais nécessaire…

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    michel laboureau-couronne

    décembre 11, 2025 AT 07:45

    Super article, vraiment bien expliqué. J’ai un papa qui prend 7 médicaments et qui croit que les gélules « naturelles » sont inoffensives… je vais lui envoyer ça tout de suite. Il va dire que c’est « trop long », mais je vais le forcer à lire la partie sur le ginkgo. Sa vie en dépend.

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    Alexis Winters

    décembre 13, 2025 AT 06:36

    Il est essentiel de comprendre que la notion de « naturel » est une illusion dangereuse. La nature produit des toxines, des alcaloïdes, des composés bioactifs - et la pharmacologie ne fait que les isoler, doser, et étudier. Un complément n’est pas un « remède doux » : c’est un ligand biochimique, potentiellement compétiteur, inhibiteur, ou induceur enzymatique. La responsabilité ne repose pas uniquement sur le patient - mais sur un système qui autorise la vente sans preuve de sécurité. Il faut une régulation stricte, non pas pour interdire, mais pour éclairer.

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    Queenie Chan

    décembre 15, 2025 AT 00:00

    Je suis canadienne, et ici, on vend des compléments comme des bonbons au supermarché… j’ai vu une femme acheter une bouteille de « ginseng ultra-force » en même temps que ses croissants. Et elle avait l’air si fière. On parle de « santé naturelle », mais on oublie que la nature ne se soucie pas de nos prescriptions. J’ai vu un ami développer une insuffisance hépatique après avoir pris du curcuma pour « réduire l’inflammation »… pendant qu’il prenait un traitement contre l’hépatite C. Personne ne lui a demandé ce qu’il prenait. Personne.

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    Fanta Bathily

    décembre 15, 2025 AT 01:29

    En Afrique de l’Ouest, beaucoup utilisent des plantes traditionnelles pour traiter le diabète ou l’hypertension. On ne les voit pas comme des « compléments » - mais comme des remèdes de famille. Et pourtant, certains mélangent ça avec des médicaments prescrits. Il manque des campagnes de sensibilisation dans les langues locales. Ce post devrait être traduit. Pas juste en anglais. En bambara, en wolof, en peul. La vie des gens ne dépend pas de leur niveau d’anglais.

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    Margaux Brick

    décembre 15, 2025 AT 02:23

    Je suis infirmière, et j’adore ce post. Je le mets en PDF et je le donne à tous mes patients qui prennent des médicaments chroniques. Je leur dis : « Si tu ne le dis pas à ton médecin, c’est comme si tu prenais un médicament en cachette. » Et je leur montre la liste des 5 plus dangereux. Le calcium et la lévothyroxine ? C’est le #1 problème chez les seniors. Ils prennent leur comprimé le matin avec leur vitamine D + calcium… et ils se demandent pourquoi ils sont toujours fatigués. C’est fou, mais c’est tellement courant.

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    Didier Bottineau

    décembre 16, 2025 AT 23:09

    Ok j’ai lu tout ça… mais j’ai pris du ginkgo pendant 3 ans avec de l’aspirine et je vais bien. Donc c’est pas systématique. Et puis t’as pas parlé du CBD, là… il interagit aussi, non ? Et le curcuma, j’en prends pour les articulations, et mon kiné me dit que c’est top. T’es pas un peu alarmiste ?

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